Généralement, celles et ceux qui parlent des biais cognitifs le font avec bienveillance. Par exemple, des UX designers qui mettent en garde contre les manipulations. Ou des universitaires qui expliquent les causes des erreurs « que l’on fait tous ».

Ces pédagogues sont adorables – ils n’en sont pas moins complices de l’arnaque.

Wikipédia propose cette définition consensuelle :  

Un biais cognitif est une déviation dans le traitement cognitif d’une information. Le terme biais fait référence à une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Biais_cognitif

Cette définition est parfaitement représentative du traitement des biais cognitifs par les coachs en neurosciences.

Quel est le problème ?

La rhétorique des biais cognitifs est trompeuse. 

On dessine un cerveau au milieu des schémas comme ci-dessus, on dit « neurosciences », « expériences »… On insiste sur la gravité des faits (le marketing nous manipule avec !) en inscrivant les « causes » dans la biologie humaine, dans les « lois » de son fonctionnement logique, grâce à des études « scientifiques »… Tout cela surjoue le drame – car il faut bien qu’on sente qu’il est question de distorsions de la réalité tragiques et implacables.

Reprenons la définition.

« Une déviation dans le traitement cognitif d’une information. »

« Déviation », c’est le truc qu’on est un peu obligé de prendre. Ensuite, c’est très commode, comme mot, « cognitif ». C’est tout ce qui entre en ligne de compte dans la faculté de connaître (y compris les effets de la psychologie, de l’imagination, et même de la mode), mais en termes d’évocation, « cognitif » ça tombe très bien, ça sonne science dure, câblage, structure observable des synapses ; « cognitif », ça sent la nature humaine, la rationalité, la philosophie, presque la théorie de l’évolution.

Et puis « traitement » c’est parfait, ça fait neutre ; on parle bien d’une machine à penser, d’une sorte d’ordinateur ; « perception » ce serait trop subjectif, par comparaison… « Jugement » n’en parlons pas…

Dans le cadre des discours sur les biais cognitifs, on maquille impeccablement l’esprit en mécanique analysable, efficace dans l’idéal, mais tragiquement faillible : il a tout plein de biais terribles.

Mais les biais cognitifs sont-ils vraiment des règles de la pensée, des lois de l’entendement qui font que tout déconne nécessairement ?

Psychologie, pas physiologie

Malheureusement, il s’agit en réalité de tendances psychologiques, relevant parfois des sciences humaines, et pas forcément des approches les plus rigoureuses. Pour la majeure partie des biais, on est bien plus proche de la « mauvaise habitude », de la paresse, de regrettables réflexes identifiables dans des sympathiques expériences de groupes, que de la contrainte physiologique analysée en laboratoire.

D’ailleurs, pas mal de définitions proposent de distinguer les « biais sensori-moteurs » du reste des biais, en les appelant des « illusions ». 

Pourquoi ce privilège ? Eh bien, pas tant parce qu’elles concernent les « sens ». Plutôt parce qu’elles sont des distorsions inévitables. 

On ne peut pas ne pas être victime de l’illusion de Cornsweet. On voit les deux carrés ci-dessus d’un différent gris (foncé en haut, clair en bas)… alors qu’en réalité, c’est le même gris.

Oui ! La preuve :

C’est terrible…

Ce genre de biais est un double drame pour l’orgueil de celui qui « ne croit que ce qu’il voit » : 

  1. L’écart est grand, entre ce qui est perçu et ce qui est vrai ;
  2. L’erreur de perception s’impose, elle est nécessaire, fruit du fonctionnement même du cerveau.

L’arnaque !

L’arnaque est alors la suivante : ces illusions, ce degré différence entre la production du cerveau et « le réel », associé à la tragique nécessité de faire cette erreur, servent de référence, d’exemple-type, de forme canonique, à toutes les « dysfonctionnements » rangés dans la case « biais cognitifs ».

À partir de là, à en croire les plus inquiets, les pièges tendus par les biais cognitifs sont équivalents à cette forme canonique.

Pourtant, on fera fausse route si, avec les biais cognitifs, on veut désigner de grands écarts avec la réalité, et d’écarts inévitables.

C’est toutefois ce que fait la définition de Wikipédia : « Le terme biais fait référence à une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité.« 

Et pire encore, la définition de Sciences et avenir :

Un biais cognitif est un réflexe de pensée faussement logique, inconscient, et systématique. Ancrés au fin fond de notre cerveau, les biais cognitifs tordent la réalité en l’analysant avec des raisonnements irrationnels et illogiques.

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/comment-notre-cerveau-nous-manipule-t-il_135688

« Déviation », « tordre », « systématique »… C’est n’importe quoi.

Mis à part les « illusions » (qui ne posent à vrai dire aucun problème – on s’en fout complètement ; enfin si, c’est marrant), aucun biais cognitif n’est justement emprunté de manière systématique et nécessaire par le cerveau. Et rares sont ceux qui forment un si gros écart avec la « réalité » (surtout quand celle-ci n’est de toute façon pas un truc très clair).

La contingence des biais cognitifs

En réalité, on est doublement susceptible d’échapper aux pièges des biais cognitifs.

On les esquive potentiellement d’une première manière : toutes les « expériences » menées pour les mettre à jour montrent qu’on y tombe, au mieux, que dans « la majorité » des cas. Donc, ça n’est pas systématique ni nécessaire. 

(Toi aussi, qui es en train de lire, tu penses toujours spontanément que tu aurais été, toi, de celles et ceux qui ne seraient pas tombés dans le panneau de l’expérience, hmm ? Sûrement que ce « biais narcissique » a été scientifiquement théorisé…).

En fait, la majorité des biais cognitifs ne sont même pas des « biais ».

Le mot « biais » laisse entendre qu’au lieu de prendre la bonne direction – la bonne c’était évidemment la droite, direct dans la vérité… – l’information est malheureusement faussée de manière rigide et drastique par un cerveau esclave de son fonctionnement oblique et figé.

En réalité, le cerveau est le contraire de cette image que les biais nous renvoient (à savoir, un truc qui devrait être une pure rationalité dans son fonctionnement idéal et sain, mais qui est malheureusement biaisé).

Le cerveau est souple, réactif, merveilleusement et fort heureusement émotif. Celles et ceux qui dénoncent sa fragilité du fait des biais cognitifs et proposent dans la foulée de nous soigner, me font penser aux scientologues qui engagent la discussion – le recrutement – en affirmant qu’on n’utilise que 10 % de notre cerveau.

La seconde esquive des effets des biais est tout aussi évidente. 

Pourquoi tant de gens prennent-ils la peine de nous expliquer les biais cognitifs ? Eh bien, pour que les biais ne nous piègent plus.

Mais… comment ça, on n’est pas obligés de tomber dans les biais ?! Ne sont-ils pas systématiques et cognitifs et non-rationnels et fruits du fonctionnement du cerveau ? 

En vrai, il suffit d’être rendu attentif à un biais pour qu’il fonctionne moins, voire plus du tout.

C’est vraiment fragile, un biais cognitif.

L’arnaque est la suivante, pour résumer : 

On entend à la fois qu’il est question de lois inéluctables du cerveau… et qu’on n’en est pas victime nécessairement, et qu’on peut même ne plus en être victime du tout si on s’informe et qu’on fait attention. 

Bref, ce ne sont en rien des “lois” (sauf à atténuer fortement le sens épistémologique du mot), et le statut de “victime” de qui se fait tromper est loin d’être objectif et adapté.

Mais alors, c’est quoi exactement, en vrai, des biais cognitifs ?

Eh bien, du moralisme. Déguisé en science, comme toujours.

Un truc catho. Quelque chose qui, au final, permet de faire à la fois la leçon et la charité.

Par exemple : les complotistes (ces gros cons…) ne retiennent de l’actualité que ce qui va dans leur sens… Ils sont « en réalité » victimes du « biais de confirmation » (les pauvres)…

Heureusement, les amis des biais cognitifs sont là pour nous soigner de nos « déviations »…

On démasquera leur paternalisme dans la seconde partie.

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