En confrontant l’Amérique à l’annonce, portée par “les scientifiques”, d’une catastrophe irrémédiable (une météorite va exterminer l’humanité dans six mois), le film dénonce plein de choses:
- L’indifférence arrogante des politiques (des Républicains en tout cas);
- La connivence des médias dominants avec les pouvoirs (incarnés ou diffus : les gouvernants, l’audience, les attentes supposées du public…);
- Le déficit global de confiance dans la parole scientifique;
- La mécanique d’affrontement des idées, réductibles à des hashtags plus ou moins viraux;
- La candeur de tous face à la main-mise des entrepreneurs en technologies, etc.
Tout cela concourt à former une analogie avec le réchauffement climatique, catastrophique et causé par l’activité humaine selon les faits décrits par la communauté scientifique, mais dont la gravité n’engage pas de changement radical dans les politiques publiques internationales.
L’idée d’une comète qui arrive permet d’accentuer tous les traits, de contracter les évènements dans le temps, d’hystériser la situation et de révéler toute l’absurdité d’une société qui, une fois les jeux de pouvoirs entrés en conflit sur les terrains médiatiques, reste finalement inerte face à l’inéluctable.
De fait, mis à part les citoyens les plus engagés, minoritaires, nous autres spectateurs normaux de Netflix corrigeons lentement mais ne révolutionnons pas nos activités: on trie nos déchets, mais on prend encore l’avion; on donne nos vieux vêtements, mais on attend les soldes pour acheter un nouveau jean; certains, et même qui sont écolos radicaux, continuent de faire des enfants. Mais si les pouvoirs sont incriminés, les citoyens lamba sont plutôt épargnés par le film.
À partir de là, Don’t Look Up fait réfléchir – mais surtout à la question de savoir si on l’apprécie ou pas.
Ça n’a pas été mon cas. Quand on ne croit pas du tout à ce degré de déni, dans le film, face à un tel degré de certitude du fait à venir, on passe à côté des tensions. Certes, les scientifiques américains sont majoritairement démocrates (seuls 6% se disent républicains), et certes, concernant le réchauffement climatique, il a été mesuré que le scepticisme était corrélé à l’orientation politique, plutôt qu’au degré de la culture scientifique – mais tout de même. On parle dans Don’t look up d’un fait qui, en vrai, serait rapidement intégré comme inéluctable, et dont le traitement serait prioritaire. La naïveté, à ce sujet, est du côté des auteurs, s’ils croient vraiment que le monde entier ne prendrait pas un tel fait au sérieux, ou que cela dépendrait in fine du media training des scientifiques.
Les auteurs ne le croient pas, le film est une satire, il intègre donc une part de caricature et d’humour, mais cela relève un peu de l’alibi. Don’t Look Up prend très au sérieux sa thèse (le déni face au réchauffement climatique est analogue à celui du film). Mais, ni il se complique la tâche comme Contagion, qui essayait d’anticiper de manière réaliste et neutre (en apparence) les conséquences d’une pandémie, ni il assume son statut satirique à la manière d’un Docteur Folamour. Il n’est donc ni assez réaliste pour influencer, ni assez outré et drôle pour qu’on rie d’abord, puis qu’on se dise gravement, dans un second temps, qu’en vrai y a pas de quoi rire.
C’est peut-être sa vertu d’être resté sur la ligne de crête ? J’aurais ri, je l’aurais trouvé ingénieux, espiègle comme il faut, brillant pamphlet stigmatisant les acteurs qui le méritaient… Mais à défaut de m’amuser, j’ai questionné au fil du visionnage la nature et la pertinence de ce qu’on me racontait, et je me suis dit que l’analogie ne fonctionnait pas. Les réactions (ou défaut de réactions) dénoncées dans le film ne m’ont paru ressembler ni à celles qu’on aurait face à une comète, ni à celle observées face au réchauffement climatique.
Sans doute que sous l’ère Trump, on a très envie d’écrire ce film. Mais il serait naïf de croire, concernant le réchauffement climatique, qu’il y a les faits vrais, scientifiques et incontestables, et à partir de là, soit des gens sensés qui y croient évidemment, soit des cons irrationnels et méchants.
Pour être audacieux et provocateur, ce n’était pas les bourrins sceptiques et les médias stupides, qu’il fallait attaquer. Plutôt les gens comme moi, qui adhèrent en théorie aux thèses alarmistes, qui s’améliorent en pratique, mais qui traînent aussi sous la douche, laissent le chargeur sur la prise même quand y a pas le téléphone, mangent encore de la viande, se demandent avec Camus si la révolution est bien légitime.
Le réchauffement climatique appelle, pour être combattu, du temps (malheureusement) et des changements politiques (évidemment). Lesquels ? Croire qu’on doit dépolitiser la question et écouter sagement les scientifiques n’a que peu de sens dans le cas du réchauffement climatique. Comme la santé, le climat est une question scientifico-politique. Moit’-moit’. Une comète n’est pas politique. “Sciences” recouvre des réalités très variées. Celles qui se consacrent au réchauffement climatique et à ses solutions (la météorologie et les sciences économiques et sociales, disons) ont l’inconvénient d’être laborieusement prédictives et d’ouvrir (non de fermer) des débats politiques.
La critique la plus pertinente de Don’t Look Up, à mes yeux, est celle qui moque le mysticisme niché derrière le progressisme technologique. Elle touche aux deux réflexes programmés dans l’ADN républicains. Premier réflexe : chercher et trouver dans toute situation (même face à une comète qui approche !) les bénéfices pour l’activité économique promue (un peu comme certains se réjouissent que des glaciers fondent dans l’arctique: des bateaux peuvent passer). Second réflexe justement moqué: faire radicalement et aveuglément confiance à la technique (à « l’innovation ») pour trouver les solutions aux problèmes (des dommages collatéraux…) qui se poseront effectivement.
Le gourou propriétaire des moyens de communication est insupportable (et réussi, donc, je présume). Mais le film se trompe, s’il croit vraiment que la menace du réchauffement climatique plane sur nos têtes, comme la comète fonce sur la Terre. Il prend du coup les allures d’un film un peu facile, en ceci que les méchants sont tellement insupportables, qu’il est très confortable de s’identifier au bon citoyen – comme si le camp des gentils, dans le monde réel face au réchauffement climatique, était si parfait et si facile à rejoindre… Ce camp des gentils n’est pas, dans le monde réel face au réchauffement climatique, celui des scientifiques. Le problème du bon camp politique commence quand on a écouté les scientifiques.
Le réchauffement climatique est tellement corrélé aux modèles de société dominants, que le(s) camp(s) des gentils exige(nt) des conversions de fond, d’une autre teneur que l’attitude à adopter face à une météorite (écouter les scientifiques, détruire la météorite). En bref, le film a un peu le ton de celui qui révèle comment régler le problème (il se permet même de ridiculiser l’engagement superficiel et opportuniste de la pop culture, et ça n’a pas l’air d’être pour faire de la mise en abyme, de l’autodérision ou de l’autocritique). Ou a minima, qui pointe avec grande confiance le problème principal. La communauté scientifique, même réduite à celle qui s’accorde sur la gravité des faits climatiques, s’entendrait-elle sur le modèle social et économique à adopter?
Spoiler : non.